Dieux en résistance, de la magnificence à l’oubli
Dernière mise à jour : 18 avr. 2021
Chamula : Village indigène des hauts plateaux du Chiapas -Mexique,
en lutte pour son identité.
De nouvelles formes d’endoctrinement sont arrivées au village. Les nuits se transforment en bordel, repaire de jeunes accro à l’alcool et la cocaïne. Les sources d’eau naturelle s’évaporent, disparaissent. Les voix des anciens se retrouvent sans écho. Le "kaxlan" ou métis s’enorgueillit de la culture pré-hispanique et ignore le temps présent des peuples natifs indigènes.
Ici, depuis le sol, les habitations commencent à s’élever et cherchent à escalader le ciel. Les espaces se réduisent, les arbres dérangent. Les maisons d’adobe et les toits de paille ont disparu. Le paysage se transforme à grande vitesse. Quiconque ayant visité Chamula dans les années 90 peut être témoin du chaos-progrès suscité en pratiquement trois décennies. Qu’elle est restée au loin cette image de champs abondants de maïs, d’arbres fruitiers, empreints de la tranquillité des piétons marchant dans les rues.
Ce qui reste debout, c’est cette blanche et fière église de la municipalité. Attraction principale des touristes qui visitent le village laissant certains émerveillés, et d’autres qui, avec un regard stupéfait, jugent les actes de guérison qui se prêtent dans le temple comme des actes de sorcellerie.
Il faut rappeler qu’au Mexique, les Églises catholiques qui se trouvent dans des communautés indigènes sont devenues des lieux propres et soignés.
Chamula insiste dans sa volonté de réaffirmer son identité. C’est un village fier de sa langue et de sa culture. Dans les foyers, rues et marchés, la langue officielle qui se parle et se transmet aux enfants est le Bats’i k’op ou Tsotsil.
" Ce sont les offrandes, la croyance dans les rêves qui nous distinguent des habitants de la ville. "
Malgré la proximité de la ville, les vêtements traditionnels se conservent et ce sont les femmes qui dans leur usage quotidien les portent avec fierté. Les fêtes patronales sont leur raison pour arborer le plus bel habit de laine avec de nouveaux dessins brodés sur leurs corsages. Curieusement, le corsage féminin est fabriqué par des hommes, ce sont eux qui s’osent à proposer couleurs et matières sur les tissus.
Pour vivre en harmonie, l’homme est chargé de maintenir les règles et l’ordre. Non pas comme mépris envers la capacité féminine mais plutôt pour faciliter, en temps de conflits sociaux et de services communautaires, les labeurs qui pour une femme pourraient être dangereux et exténuants.
Dans ce sens, la vie en communauté et la tradition orale propre des communautés indigènes est le lien essentiel pour le maintien en vigueur de la langue, de la cosmogonie et des traditions. C’est la femme qui est chargée de transmettre ou transformer les connaissances ancestrales. L’eau n’est pas vénérée si elle n’est pas transmise et appelée à être gardé comme un bien sacré. Ce sont les offrandes, la croyance dans les rêves qui nous distinguent des habitants de la ville. Ici, l’eau a un gardien, le feu peut sentir notre rage et notre angoisse, et la terre s’approprier une partie de notre âme.
" Cela permettra aux étrangers d’arrêter de regarder notre façon de vivre comme du folklore "
Cependant, le discours extérieur indique aux villageois de la communauté qu’il est nécessaire de progresser, d’augmenter le niveau du bien-être humain : paver les rues, accéder à internet. Avoir des téléphones, des voitures et des frigidaires sont les indices qui mesurent notre avancement. Dans ce devenir, les connaissances se bouleversent. Et d’un pas décidé, les nouveaux styles de vie pour atteindre le bien-être nous éloignent des enseignements des anciens.
Pourquoi alors narrer le progrès comme étant un chaos ? Que ce soit à Chamula ou au sein d’autres communautés de natifs du pays, la « nouveauté » frappe d’un coup. Les jeunes et les adultes, hommes et femmes veulent mettre des Converses, être sur les réseaux sociaux, se droguer, posséder une vidéo pornographique et accéder au rêve américain, aller au Nord. Les valeurs sont laissées à l’abandon. Mon grand-père de 95 ans affirme : « nous sommes une génération qui a perdu la valeur du travail, le respect dû aux anciens et la capacité de lire la nature ».
La nouveauté qui arrive, ce sont les rebuts que la culture occidentale rejette : une montagne de détritus, de gobelets thermiques, de produits chimiques qui contaminent la terre, d’aliments qui nuisent à notre santé, des façons de penser qui fragmentent l’unité communautaire. Il ne manque plus que la nouveauté arrive avec des solutions qu’elle-même a provoquées.
Nous avons besoin de valoriser les connaissances que peuvent offrir les peuples natifs, indigènes, à d’autres cultures. Construire des ponts linguistiques, de connaissances et d’art. Cela permettra aux étrangers d’arrêter de regarder notre façon de vivre comme du folklore.
Article de Enriqueta Lunez
Traduction de Maïté Claire Abadie
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